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19
Dicembre
2021

Faut-il rappeler l' importance des esquisses préparatoires? (Anne Madeleine Goulet)

Anne Madeleine Goulet, dans cette notice pour le catalogue de la vente Aguttes (Maitres anciens, tableaux et dessins, novembre 2021) explique quelles sont les principales sources d' inspiration, le cheminement, les étapes des tout premiers dessins à des esquisses de plus en plus grandes et détaillées et l' iconographie de ce projet de voute peinte de style baroque destinée à la nef d' une église située dans le coeur de la Rome historique.

Faut-il rappeler l' importance des esquisses préparatoires? A Rome, la galerie Spada conserve l' une de celles que fit Giovan Batista Baciccia pour la voute du Gesù. Avant de transformer le Gesù de Vignole, "église blanche" de la contre-réforme en une église baroque, le peintre gènois avait réalisé plusieurs esquisses du Triomphe du nom de Jésus, dont la réalisation définitive fut présentée au public à la fin de l' année 1679. En peignant ces esquisses à plat, l' artiste devait imaginer ce que les formes et les couleurs deviendraient lorsqu' elles suivraient les incurvations de la voute. Certes Rome, dès le début du Seicento avait été le théatre d' expérienes nombreuses et variées dans le domaine de la peinture décorative, que ce fut dans les voutes des églises ou sur les plafonds des palais - la voute de la galerie du palais Farnese, peinte de 1597 à 1604 sous la direction d' Hannibal Carrache en est un exemple célèbre. Quelle nouveauté toutefois que la voute du Gesù! au-dessus du spectateur médusé, elle parait s' ouvrir sur un ciel éblouissant de lumière, qui l' invite à oublier l' espace matériel de l' église pour s' envoler dans un espace imaginaire, véritable appel vers l' infini. Pour obtenir cet effet ascensionnel, la perspective da sotto in sù est étudiée pour que nous élevions notre regard vers l' ouverture centrale. C' est tout l' art de la Quadratura, où l' architecture réelle de l' église est prolongée par des édifices imaginaires.                                                                        La présente esquisse est un bozzetto pour un projet de toile monumentale destinée à orner la totalité de la nef d' une église baroque du centre de Rome. Cette nef, dont la décoration est restée inachevée, constitue une surface d' environ 300 mètres carrés. La composition représente les diverses étapes d' un pélerinnage très ancien, remis en usage par Saint Philippe Néri à partir de 1552, où les pélerins se rendaient dans 7 des églises de Rome sur deux journées, en treize heures de marche. Ce parcours ponctué de méditations était éminemment symbolique: en allant dans ces basiliques dont chacune représentait un patriarchat, le pélerin effectuait un tour du monde chrétien.                                                                                                  Partons du bas de l' esquisse et suivons le trajet dans le sens des aiguilles d' une montre. Ils sortent d' abord de la Chiesa Nuova, traversent le Pont Saint Ange, passent devant le baldaquin de Saint Pierre, poursuivent vers Saint-Paul-hors-les-Murs, sise au-dessus des catacombes du mème nom, entrent à Saint-Jean-de-Latran, puis vont à Sainte-Croix-de-Jérusalem, à Saint-Laurent-hors-les-Murs (que les romains appellent San Lorenzo al Verano) et recoivent la bénédiction finale devant la basilique Sainte-Marie-Majeure. Au-dessus des architectures qui, toutes ensemble, ont l' air de se dresser vers le ciel et forment une sortent de quadratura, un voile rouge se soulève et s' ouvre, révèlant  la voute céleste avec, en son centre, la Sainte Trinité. Au-dessus de Saint Sébastien, Saint Philippe Néri apparait emporté par deux anges; au-dessus de la Vallicella, la Madonne, qui a les traits de celle que Rubens a peint pour le maitre-autel de cette église, est soulevée elle aussi par une kyrielle d' anges.                                              La question qui se trouve ici posée c' est en fin de compte celle des rapports entre l' art contemporain -Philippe Casanova est un homme de notre temps- et l' héritage toujours écrasant descpeintres et des décorateurs baroques. Ils ne sont pas légion les peintres qui aujourd' hui encore savent manier les grands effets de genre. Dans cette esquisse tout est dans l' impression première, l' effet global: le talent du peintre dans la prise d' ensemble de la voute. Il témoigne d' une réelle ambition, qui s' appuie sur une culture profonde. L' artiste sur de son style, orchestre fortement les couleurs, où les rouges et les bleus jouxtent les jaunes en une luxueuse composition. La richesse des détails constitue un défi aux facultés visuelles du spectateur. Tout comme il est conseillé au touriste d' aujourd' hui de se munir de jumelles pour apprécier les détails de la voute de Saint Pantalon de Venise, que Giovanni Antonio Fumiani a mis quelque vingt cinq années à peindre et qui, de toute évidence, a aussi servi ici d' inspiration, on pressent qu' il en ira de mème pour la voute grandiose de Casanova. Si l' on donne un jour au peintre les moyens de réaliser la toile marouflée qui devrait recouvrir la nef, nul doute que les sensations seront fortes!      Anne-Madeleine Goulet